Psychanalyse symbolique

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Une mutation culturelle dans la relation d’aide

 

La psychanalyse symbolique est en résonance avec une mutation culturelle en cours dans le domaine de la relation d’aide, jusqu’ici fort peu pensée.

De plus en plus de personnes recherchent en effet l’accompagnement d’un praticien pour les aider sur une voie de transformation psychique qui soit aussi, et de manière cohérente, un chemin d’expériences et de réalisations spirituelles. Nous entendons avant tout par «spirituel» la recherche d’un sens de la vie qui vient transcender l’aspect simplement «fonctionnel» (linéaire) du moi (et de son affirmation toujours unilatérale) pour s’ouvrir à l’expérience de l’unité profonde de l’être.

Bien que pouvant souffrir dans leur existence, ces personnes n’approchent pas leur souffrance psychique comme une maladie individuelle, un disfonctionnement, mais comme souffrance de leur rapport au monde et au sens : une souffrance de l’humanité en elles. Elles n’attendent pas du praticien un traitement «technique» de guérison, mais un accompagnement dans une quête analytique et intérieure qui refonde le sens humain de leur vie et de leurs relations aux autres et au monde, et les aide à se différencier consciemment des modèles aliénés transgénérationnels, familiaux et culturels qui dominent leur inconscient. Elles désirent ouvrir une relation spirituelle, philosophique et initiatique avec leur inconscient.

Cette mutation culturelle qui concerne des citoyens libres et exigeants, confiants en leur créativité intérieure et leur droit à la liberté et à l’égalité, fait naître à côté de la relation d’aide classique en psychothérapie (toujours indispensable bien sur), une forme nouvelle de relation d’aide qui sort du paradigme médical et donc du rapport spécialiste / patient fondé en principe sur la subordination formelle du second au premier. La psychanalyse symbolique est une réponse, dans le domaine psychanalytique à ce nouveau besoin culturel.

Il sera clairement établi dans chaque contrat d’analyse que le psychanalyste symbolique ne propose aucune psychothérapie, mais un accompagnement symbolique et spirituel.

Son client, informé de cela, s’engage donc en connaissance de cause dans le travail avec lui, conçu comme l’accompagnement de sa quête personnelle d’une transformation spirituelle de sa vie. Le praticien accueille son client dans la singularité de son être, c’est-à-dire le reconnaît toujours comme une «exception» par rapport aux grilles de lecture générales qu’on pourrait appliquer à son cas. Il n’enferme donc pas son client dans un diagnostic (puisqu’il n’est pas question de psychothérapie) et il ne le réduit pas à la position passive du «patient», car les deux sont pour ainsi dire les «co-patients» du processus intérieur qui anime le client (mais traverse aussi l’analyste) et dans l’analyse symbolique duquel les deux collaborent.


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Une voie symbolique

 

Dans l’expérimentation de cette voie jungienne, notre psychanalyse se définit très précisément comme symbolique, et nous entendons ce qualificatif selon deux sens : l’un spécifiquement jungien, et l’autre qui, selon nous, permet d’intégrer dans notre démarche jungienne l’approche éthique très précieuse de la psychanalyse freudienne (dans sa version lacanienne notamment). Nous approcherons plus loin ce deuxième sens.
Notre psychanalyse est en premier lieu
symbolique parce que son véhicule essentiel est le symbole, le processus des rêves que nous recevons et contemplons comme le déroulement d’un chemin initiatique d’évolution (vers le mandala vivant) que met en œuvre le Soi à partir des profondeurs de l’inconscient. La pensée symbolique qui se manifeste dans les rêves est l’information du Soi adressée au moi de l’individu, qui prend pour chacun un contenu, un style et une forme singulière éminemment personnelle. Pour suivre la voie de la réalisation de sa vie en mandala vivant, le sujet s’engage à se mettre à l’écoute de cette information qui vient de l’intérieur, au cours d’un processus qui, de séance en séance, est celui de la psychanalyse symbolique.
L’enjeu est qu’il se laisse progressivement travailler (sur un mode infusif) par le point de vue de ce discours transcendant, différent de celui de son moi, de telle sorte que se réalise peu à peu en lui la transformation positive de sa vie.
Le fait même qu’il se met à l’écoute de ses rêves, et donc du Soi, induit que le discours de son moi conscient souvent répétitif et tragique est décentré, marginalisé, et qu’il peut dès lors s’ouvrir beaucoup plus aux injonctions créatrices de sa vie intérieure.
Les symboles (du grec sumbolein, «réunifier») constituent la langue des rêves (étrangère au moi rationnel). Celle-ci est la plus adéquate pour exprimer de la manière la plus subtile le contenu et les exigences du travail de réunification harmonieuse de l’être que mène le Soi dans la vie intérieure de chaque individu. Dans les images symboliques de ses rêves, l’individu peut notamment contempler au cours des séances de travail le point de vue étonnant, toujours surprenant, qui l’oriente vers la ré-harmonisation dynamique de son moi conscient avec les contenus de son inconscient. La psychanalyse symbolique est l’exploration de cette voie intérieure de ré-harmonisation par les symboles.

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L’intégration symbolique selon Lacan

 

Notre psychanalyse est symbolique également, non pas seulement dans le sens que Jung met sur le concept de symbole (comme expression du Soi provenant du cœur de l’inconscient et venant interpeller le moi), mais aussi dans le sens que Lacan a donné à l’instance du «symbolique» : le lieu structural du langage, véhicule de l’intersubjectivité entre les humains. Le symbolique en ce sens «parle», détermine, aliène, la vie de chaque individu avant même qu’il puisse se nommer lui-même. Il renvoie dès lors à un enjeu éthique : que puisse émerger, se former, s’exprimer avec force au cœur du langage la parole authentique et différenciée du sujet en tant que personne. Du point de vue de la psychanalyse symbolique, cette parole ne peut certes se concevoir comme une affirmation abstraite (égocentrique et narcissique) du moi. Elle se constitue en effet dans l’ancrage avec le Soi, dans sa recherche, toujours originale dans la vie d’un individu, de fonder l’harmonie du mandala psychique, son rapport harmonieux au monde.

La différenciation d’une vie ne se réduit pas en effet à une simple affirmation du moi, par exemple son affirmation contre un père tyrannique ou une mère peu aimante, car une telle affirmation laisserait inchangé le monde symbolique qu’il a intériorisé. La figure du père tyrannique ou celle de la mère abusive demeurerait en fait virulente à l’intérieur de l’inconscient. S’il n’y avait qu’une simple affirmation du moi jusqu’ici écrasé par ces figures, le risque serait grand qu’il s’enferme dans une surcompensation narcissique (que Jung appelle inflation du moi) consistant en une identification inconsciente à la toute puissance de ces figures. Il se comporterait alors sans s’en rendre compte en père tyrannique ou mère abusive pour les autres (ou même pour certains aspects de lui-même), passant ainsi dans sa vie psychique du pôle «masochiste» au pôle «sadique», sans se délivrer jamais vraiment de ce qui l’aliène. C’est pourquoi nous disons que la différenciation n’est pas simplement l’affirmation mais la transformation de tout le monde symbolique du sujet : non seulement celle du moi dans le sens d’une affirmation nouvelle pour lui, mais également celle de toutes les figures intérieures (familiales, transgénérationnelles, culturelles) qui constituent son monde symbolique. Il est nécessaire également que ces figures intérieures du père, de la mère, etc., se différencient elles-mêmes des modèles d’origine au cours du processus analytique des rêves.
Ainsi celui-ci génère une refondation réelle du monde symbolique de l’analysant, une refondation intégrale de son rapport à la vie (dans le sens de l’harmonie du mandala). Une telle transformation ne peut procéder uniquement de la simple volonté du moi, ou sinon elle n’aboutirait qu’à un résultat purement imaginaire. Il est également nécessaire qu’un «nouveau père», une «nouvelle mère», etc., viennent littéralement à sa rencontre dans sa vie intérieure et que cette rencontre intérieure change complètement sa conception du monde.

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L’apport éthique de la psychanalyse freudienne

 

C’est pour se confronter le plus consciemment possible dans le travail analytique à cette résistance que la psychanalyse symbolique se reconnaît le besoin d’intégrer l’apport éthique de la psychanalyse freudienne, et notamment lacanienne, qui place l’individu devant la nécessité incontournable de s’émanciper du désir inconscient primordial de la mère : la parole authentique et différenciée de l’individu doit d’abord résonner dans le monde avec courage comme un «non !» à l’inceste de l’origine.

Il n’y a pas de naissance véritable du sujet sans la proclamation très forte de ce non dans sa vie, qui est en fait la reconnaissance de son «nom». C’est pourquoi dans la Bible hébraïque, c’est un même verbe qui est utilisé pour désigner tout à fois l’acte de «nommer» et celui de «crier».
La tradition psychanalytique freudienne est certes massivement réfractaire à l’approche spirituelle de la psyché humaine, et ce n’est pas sous cet aspect ni dans l’étude de ses techniques thérapeutiques classiques qu’elle sera intégrée. Mais la psychanalyse symbolique considère néanmoins la découverte majeure par Freud du complexe d’Œdipe (et sa réinterprétation par Lacan) comme la pré-condition indispensable de toute expérience spirituelle réelle de l’aventure humaine sur la Terre. Cette découverte nous amène en effet à conscientiser que la psyché humaine est traversée par une loi éthique «paternelle» de respect de l’autre, de respect de la différenciation de l’enfant vis-à-vis de la mère sans laquelle il ne saurait y avoir d’humanité. Il ne peut y avoir d’accompagnement spirituel authentique qui n’aide le sujet à intégrer cette loi-fondement, ce qui implique la nécessité pour lui de conscientiser la responsabilité éthique de son moi, de découvrir un ressourcement dans la joie d’être né et d’intégrer les valeurs de la confrontation nécessaire à l’expérience de la réalité qui délivreront sa capacité de répondre au Soi.

Un homme, psychothérapeute de profession, rêve ainsi que sa fille de deux ans a des attitudes provocantes pour l’amener à se détourner de l’intérêt qu’il porte à une compétition sportive dont la protagoniste principale représente pour lui une figure maternelle. Elle se jette dans une piscine d’eau douce de très grande profondeur et descend jusqu’au fond. Dans son rêve, elle sait descendre jusqu’au fond de la piscine et y rester sans avoir de problème de respiration.
Cependant, elle ne sait pas remonter par elle-même et a besoin pour cela de son père.
Elle l’oblige ainsi à venir la rechercher.

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Une voie psychanalytique

 

Notre voie d’accompagnement se définit comme psychanalyse parce qu’elle repose fondamentalement sur l’analyse de la vie symbolique de l’inconscient. Cette vie se manifeste à travers les symboles des rêves, l’expérience de la dimension symbolique de l’existence (que nous rencontrons par exemple au travers des synchronicités), les représentations archétypales rencontrées dans les contes, les mythes, et mis en scène dans les constellations.
Nous n’entendons pas «analyse» dans son sens classique comme un processus intellectuel de prise de conscience, mais dans un sens inspiré de son étymologie venant des mots grec «ana», donnant l’idée de recommencement , et «luein», délier : le recommencement du déliement.
Il s’agit de trouver dans la confrontation avec la vie symbolique de l’inconscient une voie expérimentale de «recommencement» de notre «déliement», c’est-à-dire de notre naissance. Nous ne sommes pas encore en effet totalement nés à nous-mêmes lors de notre première naissance, et sur la lancée de celle-ci, notre expérience de la vie n’est pas encore notre vraie vie personnelle et différenciée, contrairement à ce que nous croyons : nous restons encore
par trop «liés», inconsciemment déterminés, par l’histoire et les représentations dominantes de notre milieu familial et culturel.

Notamment, nous ne sommes pas encore véritablement nés tant que (sans le savoir la plupart du temps) nous ne faisons que répéter dans notre vie les expériences tragiques des générations passées. Nous entendons dès lors notre psychanalyse comme la voie d’une relation initiatique à l’inconscient qui vise à «naître de nouveau», à refonder notre naissance, de manière réellement individuée, et qui vient interpeller en ce sens tous les domaines (spirituel, intellectuel, sentimental, sexuel, social, etc.) de l’existence du sujet.
La psychanalyse symbolique recueille ainsi au XXI° siècle, dans un contexte de laïcité et d’exigence scientifique, l’héritage spirituel des traditions mystiques du passé qui appelaient à la nécessité d’une expérience initiatique de «seconde naissance» à l’instar de la tradition chrétienne ou des traditions orientales.

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Une voie intérieure

 

Nous disons bien une voie intérieure, car pour Jung, elle ne s’administre pas de l’extérieur comme un traitement, une technique, mais sa source provient de l’intérieur : c’est le grand œuvre du Soi. Ainsi, la psychanalyse symbolique est-elle déclarée symbolique parce qu’elle est la psychanalyse qui, pour chacun s’exerce et se déroule de l’intérieur, orchestrée par le Soi au travers des symboles des rêves.
Les rêves, nos rêves, lorsque nous les accueillons en contemplation systématique et rigoureuse de séance en séance et que nous respectons leur matériau objectif, nous psychanalysent eux-mêmes, nous travaillent, nous pensent, en nous confrontant à ce qui nous mystifie et nous sépare de l’unité harmonieuse de notre être. Tout en même temps, ils nous accompagnent fidèlement et patiemment dans la recherche de l’harmonisation. Certes, tout le monde ne se souvient pas de ses rêves. Mais le Soi se manifeste à chacun au moins sous la forme de la dimension symbolique de l’existence, que Jung reconnaît notamment dans les phénomènes de synchronicité. Lorsque le sujet n’a pas pu recueillir de rêves, il lui est néanmoins ainsi possible de contacter le Soi en contemplant le matériau symbolique objectif des synchronicités qu’il expérimente dans sa vie quotidienne.
Ainsi, une femme arrivant à sa première séance d’analyse n’avait pas de rêve à proposer. L’analyste lui suggéra de raconter un évènement récent de sa vie qui soit «comme un rêve».

C’est ce qui s’était passé juste avant d’arriver à cette séance qui lui vint immédiatement à l’esprit : elle désirait retirer sa voiture du parking pour se rendre à ce premier rendez-vous, mais elle en fut empêchée par le stationnement irrégulier d’une autre voiture qui s’avéra être le véhicule d’un homme vulgaire, très agressif, et de mauvaise foi.
L’analyste proposa à sa nouvelle cliente de considérer symboliquement cette mésaventure comme une synchronicité exprimant à l’extérieur une situation psychique intérieure, comme Jung nous apprend à le faire. Il lui suggéra comme une hypothèse à vérifier que l’homme malotru pouvait représenter une figure de masculin (animus) négatif marqué par la colère, l’agressivité, qui, dans son inconscient, jouerait comme un obstacle à sa recherche de l’ouverture et de l’épanouissement. Toute sa première séance fut ainsi consacrée à la contemplation des figures masculines de colère qui s’exprimaient en elle, liées à l’histoire de sa famille. Ce thème lui parla beaucoup et ouvrit une problématique d’évolution très pertinente pour sa vie. Après cette première séance, elle ne manqua plus de rêves pour la suite de son analyse.

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L’intégration symbolique selon Lacan

Tel est le sens d’une véritable transmutation spirituelle. Mais précisément, c’est dans le lent processus symbolique intérieur mis en œuvre par le Soi (notamment dans le travail des rêves) que se forment ces nouvelles figures, leurs rencontres, et la gestation de la différenciation). Ainsi, pour suivre notre exemple (qui n’est qu’un exemple de situation psychique parmi d’autres), pendant toute une première phase de son analyse, les rêves du sujet vont le confronter uniquement à la souffrance occasionnée par le père tyrannique ou la mère abusive. Puis, sans crier gare, vont commencer à apparaître dans ses rêves des figures nouvelles, inédites, de père et de mère positifs. Au travers de ces figures, le Soi l’invite à repositionner sa vie, en se désidentifiant de ses systèmes de défense tragiques et de résistance.

Le processus d’une psychanalyse symbolique se conçoit dès lors comme l’enchaînement combiné et subtil de deux opérations : écouter suffisamment longtemps le processus initiatique qui vient du Soi au travers des rêves et des synchronicités, se laisser transformer son point de vue par lui dans un mouvement de lente infusion ; et répondre concrètement aux injonctions de ce processus, en osant laisser émerger dans sa vie la parole authentique de la naissance à soi-même, en réalisant très concrètement l’initiation et les propositions du Soi par un changement de son rapport au monde.
Les deux opérations sont, dans leur articulation, indispensables à une transformation authentique d’une vie. S’il n’y avait que «l’écoute», le processus de gestation spirituelle se développerait à l’intérieur, mais n’aboutirait pas concrètement à une «nouvelle naissance» du sujet à l’extérieur. S’il n’y avait que la «réponse», le moment de l’affirmation, le processus se perdrait dans une hypertrophie du moi et dans une transformation superficielle et purement imaginaire.

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L’apport éthique de la psychanalyse freudienne

Une interprétation hâtive et abstraite de ce rêve pourrait simplement lui signifier qu’il a à devenir père face à sa fille, pour qu’elle puisse se différencier de sa mère et naître à sa vie individuelle. Or, l’homme dont nous parlons a déjà à son actif un chemin de maturation très intense et il est très averti de sa responsabilité en tant que père.
Il faut lui proposer, sans totalement rejeter cette première approche, une interprétation symbolique plus profonde.
Le rêveur arrive en fait dans son analyse au moment où le Soi lui demande de l’intégrer consciemment comme son centre spirituel, dans sa vie personnelle et sa profession de thérapeute.Cette intégration représente pour lui une révolution spirituelle radicale à assumer, à contre courant de toute sa culture matricielle d’origine (tournée plutôt vers le principe de compétition et la centralité du moi). Sa fille qui, dans le rêve, a des caractéristiques numineuses, et qui, dans la réalité, porte un prénom associé à la recherche spirituelle de son père, représente ici son processus intérieur qui le fait accéder à la profondeur du Soi. Mais il doit pouvoir oser le ramener consciemment à l’extérieur dans sa vie.
C’est ce qu’attend le processus au fond de son être. Il n’est pas anodin qu’il l’interpelle en tant que père de la fille : le père symbolique est la dimension qu’il nous faut mobiliser pour répondre à l’interpellation du Soi. Nous voyons dans ce rêve comment le Soi inspire lui-même au moi le réveil de la fonction paternelle qui va en retour l’aider à répondre avec force et courage à l’interpellation du Soi.
Le processus d’une psychanalyse symbolique ne peut se dérouler sans l’intégration plusieurs fois réactualisée de la fonction paternelle (ou Nom du Père, que Lacan relit aussi le «Non !» du Père symbolique à la fusion incestueuse primordiale), fonction qui permet de nommer la différenciation première et de l’assumer en osant traverser la crainte de vivre. Le processus des rêves travaillé en séances individuelles à rythme régulier passe toujours immanquablement, comme on l’a vu avec l’exemple précédent, par une initiation à cette intégration. Le psychanalyste symbolique proposera cependant à l’analysant, pour faciliter cette intégration, la participation à des groupes de constellations symboliques et spirituelles qui visent à une rencontre initiatique intense avec cette fonction.

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Une voie jungienne

 

Sur cette voie, la psychanalyse symbolique se définit comme jungienne parce que C.G. Jung a pensé de manière pertinente une psychanalyse des profondeurs. Il a notamment découvert de manière très expérimentale au cœur de l’inconscient la réalité spirituelle d’un processus naturel qui recherche la transmutation harmonieuse de la vie, et qui vient transcender de manière incessante le point de vue limité et figé du moi. Cette découverte est malheureusement encore largement ignorée par les théories de la psyché les plus en vogue qui demeurent centrées exclusivement sur le moi et qui ne connaissent que les aspects destructeurs et dysfonctionnant de l’inconscient. Ces aspects existent bien sûr, mais existe aussi au centre de l’inconscient un recours positif qui œuvre de l’intérieur de nous-mêmes à les réparer et à nous guérir du tragique. Jung a pensé cette réalité intérieure positive qu’il a découverte sous le concept du Soi. Celui-ci est le travail du divin, du transcendant, du numineux, au sein de l’humain. Il est l’Un vivant présent au cœur de l’inconscient collectif de l’humanité, traversant de l’intérieur tous les êtres, mais se manifestant cependant d’une manière personnelle et singulière à chacun. Il est le centre de la psyché humaine, et il veut réaliser celle-ci comme un mandala vivant, une union harmonieuse des contraires qui la constituent (comme le masculin et le féminin, la raison et l’instinct, etc.) :
«[Le motif de base des mandalas] est la prémonition d’un centre de la personnalité, une sorte de point central au sein de la psyché auquel tout se relie, par lequel tout se dispose et qui est lui-même source d’énergie.

C’est ainsi que nous sommes en mesure, au cours de ce processus ou grand œuvre d’individuation du Soi, de travailler à la refondation de notre naissance dans le sens d’une vie personnelle réellement différenciée, ayant découvert la voie singulière et inédite de sa réalisation en mandala vivant. Tout en même temps, ce travail de transformation des représentations collectives transgénération-nelles que propose la psychanalyse symbolique permet à l’individu qui s’y engage, de contribuer, dans l’atelier secret de son analyse individuelle, à la refondation de la culture humaine (dans le sens de la réalisation du mandala). Les représentations qui y sont travaillées sont en effet éminemment culturelles. Au travers même du travail de transformation intérieure des individus, c’est l’inconscient collectif de l’humanité qui se transforme, et donc le message qui est transmis de l’intérieur de cet inconscient aux générations futures. Dans l’atelier secret de son analyse individuelle, le sujet n’en est pas moins encouragé à se considérer comme le parent initiatique symbolique des générations futures, quand bien même il serait sans enfants.

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Le psychanalyste intérieur

 

De rêve en rêve travaillé, le symbolisme du Soi nous accompagne de l’intérieur de nous-mêmes et nous refonde. Le praticien de la psychanalyse symbolique est formé pour aider le sujet à vivre une relation initiatique profonde avec ce symbolisme. Il a une fonction humble d’interprète de la langue du symbole. Il n’impose aucune vérité de l’extérieur mais vise à faciliter au sujet l’écoute de cet accompagnement qui se manifeste à l’intérieur de lui. Empiriquement, dans l’expérience de la relation analytique, le praticien est certes le psychanalyste, l’accompagnant du sujet en analyse, mais en réalité, le vrai psychanalyste, le vrai accompagnant est à l’intérieur, c’est le Soi qui traverse et interpelle de l’intérieur aussi bien le praticien que son client. Le psychanalyste symbolique est le praticien qui sait que le véritable psychanalyste est intérieur et que sa fonction en tant que praticien consiste à ancrer son client dans l’information symbolique d’un «troisième» intérieur (par rapport à eux deux), le Soi, qui est le cœur vivant de la relation analytique. Ainsi, celle-ci n’est-elle pas une relation duelle, mais le praticien et son client se réunissent autour d’un troisième, le Soi, qui se manifeste au travers du matériau objectif du symbole (rêve ou synchronicité).
Cela transforme radicalement tout le contexte du transfert dans la relation analytique. Dès la première séance de travail, le psychanalyste symbolique est en effet formé pour mettre en relation son client avec ce «troisième».

L’analysant est d’emblée amené par son analyste à intégrer que le centre de leur travail n’est pas la relation formelle qu’il entretient avec lui, mais la relation que les deux vivent avec le Soi au cours de l’analyse des rêves. Ces derniers se chargent d’ailleurs eux-mêmes très vite d’enseigner cette vérité.

Ainsi, la veille de sa première séance d’analyse, une femme reçoit ce rêve, alors qu’elle n’a encore jamais rencontré son analyste, et qu’elle ne connaît pas très bien le travail qui va lui être proposé : elle sonne à la porte de l’analyste, mais c’est l’ami intime de celui-ci qui vient lui ouvrir et la conduit comme pour être conviée à un festin dans la salle à manger.
Il était facile à l’analyste d’expliquer à cette personne l’esprit du travail qu’ils allaient faire et qui était enseigné d’entrée de jeu par ce rêve.
Sa fonction en tant que psychanalyste symbolique n’était rien d’autre que de la mettre en relation de travail initiatique très nutritive et très réjouissante avec son «ami intime» intérieur, le Soi.
Le psychanalyste symbolique a pour motivation de faire connaître à toutes les personnes qu’il accompagne son «ami intime», l’Ami intérieur qui est au cœur de tous les humains.
Le psychanalyste symbolique s’efface derrière l’Ami au cours du processus. Ainsi, dès la première séance d’analyse se prépare déjà la fin de la psychanalyse : le moment de la séparation d’avec le psychanalyste devenu (et reconnu) comme inessentiel.

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À l’intérieur et à l’extérieur

 

L’obstacle essentiel à la capacité de réponse est cependant toujours la difficulté de naître, sortir effectivement de la fusion incestueuse primordiale de l’individu avec l’origine matricielle, fusion qui l’amène à se laisser inconsciemment identifier à tous les modèles transgénérationnels qui passent à travers la mère et à tous les ordres établis de la famille et de la culture. Le risque est que le grand œuvre de différenciation et de refondation opéré par le Soi au travers du processus des rêves demeure à l’intérieur de l’analysant, ne soit pas acté avant longtemps à l’extérieur dans son rapport concret à la vie. Le risque est que le combat spirituel que mène le Soi pour la transformation de l’individu de l’intérieur de sa psyché ne soit pas relayé (ou difficilement relayé) à l’extérieur par le combat de son moi pour changer sa vie : proclamer sa voie (singulière) du «mandala» dans le monde et face à lui, en s’abandonnant résolument à l’extérieur à l’influence intérieure du Soi.
A l’intérieur, l’attraction matricielle de l’origine et l’ordre préétabli dans l’inconscient sont systématiquement confrontés dans le travail du rêve, et acheminés vers leur détrônement, et le sujet va ainsi d’élargissement de conscience en élargissement de conscience au cours de ce travail. Cependant on constate qu’il est souvent difficile pour le moi de traduire directement ces élargissements de conscience en transformation concrète de la vie et du rapport à son environnement extérieur.

Jung suggère que la finalité spirituelle d’une analyse est la réalisation du Soi dans la vie du sujet : celui-ci est en quelque sorte appelé à devenir le plus possible le «vase» alchimique du Soi, ou, autrement dit, à laisser advenir le plus possible dans sa vie le mandala psychique harmonieux que désire le Soi pour lui : «que Ta volonté soit faite et non la mienne !». Le moi cependant ne peut que résister. Au sein de son environnement, il baigne dans une identité établie toute puissante, préformée en lui depuis l’origine, pour laquelle en général le Soi ne représente rien de sérieux, qui n’est pas prête à lui faire confiance, qui préfère conserver ou réactiver sans cesse son fonctionnement habituel, son système de défense, plutôt que de s’abandonner à ce que lui suggère son processus intérieur. A l’intérieur (pour suivre notre exemple), ses rêves lui montrent le possible de se structurer de manière nouvelle sur une figure de père ou de mère positifs. Mais à l’extérieur, dans sa culture consciente, il est pendant longtemps vite repris par la crainte persistante que seules les figures négatives existent et triomphent.
Le point le plus aveugle de résistance tourne le plus souvent autour de l’intégration du féminin (en l’homme comme en la femme), à savoir la capacité symbolique d’ouverture et de relation à l’autre. Cette capacité est trop marquée dans les lignées transgénérationnelles et la culture par la souffrance et la nécessité de s’en protéger. Et il est difficile pour le moi d’envisager jusqu’au bout de mettre en acte une refondation de cette capacité. Celle-ci est pourtant préparée au cours du processus analytique intérieur, et, redisons-le, un élargissement de conscience s’offre pour ainsi dire régulièrement de l’intérieur au moi. Celui-ci reçoit certes cet élargissement, au cours, par exemple, d’une séance d’analyse de rêves fort interpellante, mais en même temps, et pendant très longtemps dans son analyse, il n’arrive pas en définitive à l’acter. Son processus intérieur en tient compte et repart pour ainsi dire en arrière, jusqu’à recréer les conditions d’une nouvelle interpellation, et ainsi de suite. On voit comment cette résistance risque d’allonger indéfiniment la durée d’une psychanalyse.

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L’union des contraires

 

La force et l’originalité de la psychanalyse symbolique tient dans le fait que son processus de travail permet à l’analysant de faire une expérience soutenue de l’union harmonieuse des contraires, en quoi se caractérise le Soi, expérience indispensable pour vivre une refondation symbolique de sa vie.
Ainsi bénéficiera t-il au cours de ce processus de l’alchimie d’une coopération fructueuse entre un mouvement analytique introverti, centré sur l’écoute du Soi à l’intérieur dans la contemplation des rêves, et un mouvement analytique extraverti, tourné vers la capacité de lui répondre à l’extérieur, travaillée dans les constellations ; une coopération harmonieuse inédite entre les séances individuelles d’analyse de rêves et les séances de groupes de constellations, entre une démarche jungienne et un apport lacanien, entre le travail des rêves vécu en séances avec l’analyste et les expériences personnelles d’imagination active.

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